Voici une transcription (simplifiée) de la riche discussion qui a eu lieu le 27 avril dernier à Pol’n.
Transmettre
« Au niveau de la transmission et des souvenirs que j’ai des échanges que j’ai pu avoir ou pas avec les femmes de ma famille, ma mère et mes sœurs, finalement, la question n’a jamais été abordée ou alors c’est moi qui devais poser les questions. Je ne le faisais pas forcément et j’ai l’impression de m’être éduquée dans le secret. C’est-à-dire sur internet…toujours dans l’intimité. Il n’y a pas eu vraiment d’échanges, à part ma mère qui me disait que mon corps était sacré et que je devais faire attention sans bien savoir à quoi faire attention. »
« J’ai été élevée au catholicisme, j’ai été cheftaine scout mixte, et il y a eu une année où l’on était cinq chefs, trois filles et deux garçons, et on a voulu faire un moment d’éducation sexuelle, séparé.e.s. On a eu du mal à faire accepter ça aux chefs garçons. On l’a quand même fait. Eux avaient beaucoup de mal, parce que c’était des jeunes entre 11 et 14 ans, et il y avait une différence d’éducation assez importante chez les garçons. Ils n’arrivaient pas à en parler, ils faisaient un peu les bébés. Alors que nous, chez les filles, il y avait tellement de questions que c’était hyper important, hyper intense. On a parlé un peu de tout. Il y avait une des cheftaines qui était infirmière, très croyante mais elle disait : « C’est pas possible, faut qu’on leur en parle ! On doit avoir ce rôle-là, si c’est pas les parents, si c’est pas l’école, la famille ou les amis, au moins elles auront un intermédiaire de femmes à qui elles peuvent poser des questions. ». Je me suis dis que c’était un moment que j’aurais bien aimé avoir aussi, quand j’étais plus jeune, à leur âge.
« C’est ce qui m’a touché sur les forums. La parole, quand elle ne peut pas se dire, elle va trouver un endroit pour se dire. Et internet permet ça. Il y a plein de pincettes parfois, et en même temps, ça se libère. C’est important qu’il y ait des lieux. Il y a plein de manières de sécuriser sa parole, mais il reste la question des lieux : trouver des endroits sécurisants de référence pour aborder ces choses-là sans que ce soit de manière cachée
« Sur internet, le fait d’écrire de façon anonyme, c’est quand même rester caché.e. On n’ose pas être qui on est. »
La littérature, une école de la souffrance
« Moi, je n’ai pas de souvenir de discussions par rapport à la perte de la virginité. Mais il y avait la littérature et particulièrement les J’ai lu de ma mère. C’est une collection de livres érotiques pour femmes. Les Arlequins, ce n’est pas terribles parce que ça ne baise pas du tout, mais les J’ai lu il y a de l’action, c’est pas mal. La plupart du temps, elles se font toujours dépuceler par un homme qui est beaucoup plus âgé qu’elles, elles ne veulent pas et après elles veulent… Dans ma représentation, il y avait d’abord, ça fait mal, et après ça fait du bien. Cette espèce de passage de la douleur au plaisir intense, quand tu t’y retrouves, ça n’a rien à voir en fait ! Ce rapport à la douleur, c’est intéressant : il y a cette idée-là qu’on va douiller ! »
« Il y a aussi l’idée que tu fais peur aux jeunes filles alors tu contrôles leur sexualité. Si on te disait que c’était hyper cool, que tu n’avais pas du tout mal… »
« Tu prépares ton corps à ce que ça fasse mal aussi ! »
« Il y a un rapport de culture. Dans le livre sur la défloration, il n’est jamais fait allusion au fait qu’il faut que la nana mouille pour avoir du plaisir. Il n’y a aucun conseil à propos de ça. Ce qui est quand même la base… la lubrification – j’ai retrouvé le mot – c’est la base pour ne pas avoir mal. Ça ne se dit pas. « Tu vas souffrir » mais on ne te donne pas les outils pour ne pas souffrir. »
« Il y a un rapprochement avec l’accouchement, on endure. Pour la femme, c’est toujours : son corps la fait souffrir ! »
« Si j’entends mes grands-mères, elles ont enduré partout, tout le temps. La sexualité n’a jamais été un moment de plaisir, l’enfantement non plus. Et ce n’était pas seulement dans un jeu de domination, c’était un discours sincère. »
A l’école
« Je suis prof et j’entends des collègues qui disaient que quand ils.elles abordaient ces questions-là en cours, celles de la sexualité des femmes et de leurs organes, les jeunes garçons disent : « Moi j’ai pas envie de savoir ». Alors que les filles écoutent volontiers ce qu’on leur dit sur l’anatomie et la physiologie des hommes. J’avais l’impression qu’ils.elles disaient que c’était un sujet assez évité ».
« En SVT, on apprend vaguement pendant une séance à mettre un préservatif sur un pénis d’homme, mais en fait on n’apprend rien sur le vagin, et on n’a pas de représentation matérielle de l’appareil féminin. Il n’y a pas d’outil qui représentent physiquement tout ce qui se passe. »
« En termes de proportion et de temps passé sur l’apprentissage des sexualités, est-ce qu’on ne peut pas rééquilibrer un peu ? C’est en 2017 que le premier manuel scolaire a intégré le clitoris. 2017 ! »
« Dans la série Sex education , il y a des défauts mais il y a un cours d’éducation sexuelle où ils.elles mettent un préservatif, ça tourne au fiasco, bref, ils.elles doivent remplir un plan avec des trous pour compléter de quelle partie de l’anatomie féminine il s’agit. C’est une représentation qui montre l’hymen. Et moi, je ne me souviens pas d’avoir eu un tel schéma à remplir quand j’étais au collège ou au lycée ».
« Dans les représentations sexuelles, on sait maintenant qu’il n’y a pas d’un côté l’homme et d’un autre côté la femme, il y a un continuum. Au niveau fœtal, on part du même état et il y a une différenciation qui se fait. Sans même parler d’intersexuation. Par rapport à l’hymen, c’est un reste de peau qui est là et qui marque cette espèce d’état androgyne antérieur ».
Y jeter un œil
« On discutait tout à l’heure et on se disait qu’aucune de nous ne sait vraiment ce qu’était son hymen. A cette époque-là, je ne me regardais pas. Et je me disais sans doute qu’il ne fallait pas se regarder là. C’était honteux et tabou. C’est un peu aussi comme si on nous l’avait pris aussi. J’aurais bien aimé avoir un souvenir de mon hymen quoi ! Juste apprendre à s’observer de manière sereine, comme on connait son visage. »
« Faudrait des baignoires avec des miroirs ! »
« Je ne me suis jamais dit « je vais perdre mon hymen si je mets un tampon » ! On sent l’angoisse dans les pubs. Surtout, la consommatrice, il faut qu’on la rassure ! Vous serez préservée. »
« Dans le forum, la personne qui a l’hymen trop épais, on lui répond qu’il faut qu’elle aille chez le gynéco pour qu’il la déflore ! »
Tic-tac
« Ce qui est intéressant aussi c’est la honte de la virginité de ces jeunes femmes, toutes plus honteuses les unes que les autres d’être vierges, elles ne savent pas quoi en faire. Je trouve ça assez curieux – je ne l’avais pas du tout perçue – cette honte et en même temps la conservation de l’hymen comme une espèce de truc en double-bind, à la fois il faut être vierge parce que c’est mieux d’être vierge mais en même temps ça fout la honte d’être vierge et on n’en parle pas. Cette espèce d’articulation, j’arrive pas bien à la comprendre. Je ne sais pas sur quoi elle s’appuie C’est un peu la mère ou la putain. Soit t’es sacrée et on ne veut pas en savoir trop sur toi, tu restes l’objet sexuel ou j’en sais rien, et à l’inverse … tu n’es jamais dans la bonne case. Cette logique de la juste mesure dans tout, pas trop libérée mais pas trop prude… »
« Je crois qu’il y a une date. En tant que femme, on a des dates de début, des dates de péremption… vraiment… je me souviens au collège, avec les filles qui avaient leurs règles, celles qui les avaient eues en premier, et la dernière à les avoir. De même façon, la virginité, faut pas être trop tôt mais pas à 21 ans ; pareil pour la ménopause… A 35 ans, le passage de l’autre côté de la fécondité, c’est un vrai passage où tu constates que tu sors d’une période. Le rapport à l’horloge et au timing est très très important. »
Reprendre le contrôle
« Ce timing, il est toujours en rapport avec la procréation, ce n’est pas autre chose. Pour moi ça reste étonnant, pourquoi on ne pourrait pas dire qu’on arrête d’être vierge à partir du premier orgasme par exemple ? Je trouve ça plus intéressant d’associer la virginité à l’orgasme qu’à un premier rapport hétéronormé avec un mec. J’ai l’impression qu’il faut vraiment réimaginer des choses. En tant que femme on est les six/septième de notre temps hors de la période de procréation. Quand on se le dit sérieusement c’est quand même beaucoup et toute notre vie est indexée à la procréation. Est-ce que c’est nous qui voulons être indexées à la procréation ou c’est par ailleurs ou est-ce qu’on est collaboratrice de ça, comment ça marche ? »
« Moi je sais que j’ai pris la pilule très tôt, ça me permettait officiellement de pouvoir avoir des partenaires sexuels du point de vue de mes parents et du coup d’être un peu plus autonome. Du coup il y a toujours ce truc : tu peux procréer donc tu va prendre la pilule tout le temps, du coup tu ne connais plus ton cycle, tu ne sais plus comment ça marche. Moi je n’ai pas fais de SVT après le collège donc j’ai complètement oublié comment ça marchait les cycles. T’oublies tout, on te dit « Il faut juste que tu prennes ça et c’est bon, il n’y a pas de souci, si en plus tu n’as qu’un partenaire, ça va, c’est simple. » On te réduit à ça « Est-ce que tu as pris ta pilule ? » Ben non j’ai oublié…Catastrophe ! Catastrophe ! » Et là t’as plus qu’à attendre le mois prochain en flippant. Le fait de ne plus la prendre et de se réapproprier son corps, c’est assez nouveau… mais c’est cool. »
« Il y a une idée du contrôle du corps de la femme que ce soit par des dates, la date de la ménopause, la pilule ou même pour l’hymen, la virginité, de trouver un critère (il faut qu’il y ait pénétration de l’homme ou autre). Si le critère c’est l’orgasme, on ne contrôle pas, on ne sait pas quand et c’est la femme qui décide du moment »
Virginités
« Moi ça me fait penser à des rites de passage, c’est un peu comme si on passait des moments sans initiation (on parlait du secret) sans vraiment être accompagnée et avec des représentations qui ne sont pas dites frontalement. Du coup, c’est plutôt, comment on accompagne les personnes à avoir leur propre expérience, c’est la liberté de ton expérience qui va te faire dire « Ok là je ne me sens plus vierge ». Moi j’ai vécu le truc de penser que la première fois c’était avec un homme alors qu’en fait ma première fois, ça a été avec une femme. Du coup je me suis dit que je n’étais plus vierge le jour où j’ai fait l’amour avec un homme alors que j’avais déjà fait l’amour avec une femme et que j’avais eu un orgasme avec cette femme.
« On peut se dire aussi qu’on est vierge avec chaque personne avec qui on a une relation, donc en fait on est tout le temps vierge. On peut l’être pour toujours. C’est illimité. »
«Avec à la criée on a fait des soirée autour de questions géographiques comme celles de la destruction de parties de la ville de Nantes et je me dis que c’est à peu près les mêmes sujets. Sur le fait qu’il il y ait des modèles et comment on en a marre des modèles, comment on a envie de se réapproprier des choses, que les expériences soient prises en compte. J’ai l’impression d’avoir déjà vécu ces moments-là autour de l’auto-référence. Il y a comme un contexte d’écroulement de ces normes, de ces modèles »
Masturbations
« Il y a aussi la question de la masturbation féminine, que la première fois pour une femme doit venir d’un homme et que la première fois ne peut pas être avec une femme ou avec soi-même. Il y a beaucoup de femmes qui n’ont pas de pratiques sexuelles personnelles. C’est assez bizarre, tu ne te connais pas et tu attends que quelqu’un t’apporte la révélation alors qu’il y a un cadre social pour la masturbation masculine, il y a des blagues, des chaussettes…
« Des jeux comme la biscotte »
« Je ne connais pas »
« L’idée, ce sont des garçons qui se masturbent en communauté autour d’une biscotte, il faut éjaculer sur la biscotte et le dernier qui éjacule dessus doit manger la biscotte »
« Beaucoup disent que ce n’est qu’une légende urbaine »
« Sex Education fait un épisode sur la masturbation féminine. Il y a une jeune fille qui a l’habitude d’avoir plein de copains, elle est toujours en train de simuler et un garçon lui demande « Tu simules ? » Elle lui répond « Oui, tout le temps » Il lui demande « Qu’est-ce que tu veux du coup ? » et elle n’est pas capable de répondre. Elle va voir le jeune garçon qui donne des conseils et elle lui demande « Bon, il faut que je sache ce que je veux, alors dis-moi ce que c’est ? Il lui dit « je ne peux rien faire pour toi, il faut que tu t’entraînes toute seule, » et donc elle le fait et elle trouve tout ce qu’il faut »
« C’est peut-être sa première fois. »
« Ce qui me fait penser au consentement parce que si on n’est pas capable de savoir ce qu’on veut, on n’est pas capable de savoir ce qu’on ne veux pas non plus.
« On attend un sauveur. »
« le vocabulaire va dans ce sens-là « se faire dépuceler », «donner un orgasme à quelqu’un d’autre »…
« cette notion de plaisir et de découverte de soi-même est aussi due au fait qu’on ne parlait pas du tout du clitoris, que c’était censuré et que ça change tout de savoir que ça existe »
« Ce qui me fait penser aux grands-mère qui n’ont pas pu expérimenter ça, le fait que connaissance et plaisir, ça marche ensemble. »
Vue d’un homme
« Moi, c’est le mot de dépucelage que j’utilisais, le mot d’ « hymen » je ne sais quand est-ce qu’il arrive. Après, je ne suis pas sûre que ce soit quelque chose qui m’obsédait, qui était très présent. Je savais que ça pouvait saigner, que ça pouvait faire mal. Oui, même si je n’avais pas le mot d’ « hymen », il y avait quelque chose qui allait saigner. C’était les seules images que j’avais. »
Souffrir, encore
« C’est intéressant qu’il soit normal que ça fasse mal »
« Comme si c’était la seule connaissance »
« Toutes les représentations dans les films où le premier rapport sexuel a lieu, où la mise en scène picturale relève du drame : le drap blanc brandi, la mare de sang. Il a un film où il y a Eva Green qui est dans une cuisine, sur le carrelage, c’est assez horrible. On se rend compte qu’elle est vierge parce qu’il y a du sang partout dans la cuisine. »
« Je regardais un film avec mes parents et je leur demandais « pourquoi elle pleure ? C’était dans des films sur l’époque médiévale : déjà elle a peur, avant, personne ne lui dit rien et ensuite elle pleure. Et nous, on est prêt à reproduire la même chose parce que les parents ne nous disent pas « non, ça peut bien se passer ».
Souvenir
« Quand j’étais en primaire j’avais des amies qui s’appelaient Imen, leur nom ne s’écrivait pas de la même façon, elles étaient algériennes, elles étaient deux et il y avait des blagues par rapport à ça alors qu’on était qu’en primaire. Je me souviens qu’on disait que ça ne s’écrivait pas pareil, qu’il y avait une allusion sexuelle. C’est pour ça que j’ai eu une explication un peu tôt de ce que ça pouvait être mais du coup très théorique.
Matriarcat ?
« Ce qui est sûr, c’est que lorsqu’on passe à une société patrilinéaire, il y a un enjeu très important dans le contrôle de la sexualité des femmes. Il faut trouver une preuve qu’une femme n’a de rapport sexuels qu’avec son mari, ce qui confirme que les héritiers produits du mariage sont bien les descendants de cet homme-là. Si le géniteur n’a pas d’importance, la sexualité de la femme ne sera pas si importante finalement. »
« Il y a une société qui s’appellent les Na. Toutes les jeunes filles disposent d’une chambre-fleur et tous les prétendants peuvent rejoindre la jeune fille dans la chambre fleur. Il n’y a pas de contrôle de la virginité parce que c’est matrilinéaire et c’est l’aînée qui va reprendre la maison. C’est en Chine et c’est déjà en train d’être commercialisé et rentabilité en terme de tourisme culturel. »
« Ce qui me gène dans le terme société patriarcat ou matriarcale, c’est qu’il y a toujours un des deux partenaires qui est mis en défaut. »
« En fait les sociétés patriarcales existent, les sociétés matriarcales n’existent pas, c’est des sociétés matrilinéaires et dans la majorité des exemples que je connais, le pouvoir se partage entre la mère et éventuellement son frère du coup ce n’est pas le père qui est impliqué dans la gestion du foyer. C’est un couple qui n’est pas le couple sexuel. Il y a vraiment la figure masculine et féminine qui cohabitent. »
Virginité et religion
« J’ai l’impression que c’est très récent , ce moment de déconnexion de la croyance et de la religion par rapport à nos organisation sociale. »
« Ça dépend où on se situe, la plupart des jeunes filles musulmanes doivent encore justifier qu’elles sont vierges.
« Avec ces définitions de dictionnaire, il n’est pas question de religion et on voit à quel point cela prend du temps, à quel point la traîne est longue ».
Virginité et capitalisme
« Tu liais la question de la virginité à celle de la propriété. Peut-être que le capitalisme et la propriété prennent le pas sur la religion ? »
« En France, c’est l’État qui a le plus imposé cette manière de faire. Avec Napoléon, on a commencé à faire des listings des potentiels enfants et soldats qu’on pourrait emmener à la guerre. Ce n’est pas seulement une question de religion ».
« Dans le cadre du mariage, ce sont des modèles qu’on peut plaquer l’un sur l’autre parce qu’il n’y avait pas de mariage non-religieux et le contrat de mariage établi à l’église faisait foi de document officiel, il liait les époux d’un point de vue juridique mais aussi d’un point de vue spirituel. »
« Au-delà de la propriété de la femme, la virginité assure la descendance ».
« Quelques soient les canaux par lesquels ça s’exprime, c’est du contrôle. Que ce soit par l’Église ou par l’État, c’est toujours le même résultat ! »
Canaliser l’énergie sexuelle
« Le mariage religieux a été aussi instauré pour « protéger » les populations des rapports sexuels sauvages, c’est peut-être horrible, mais dans l’idée, un homme qui allait avoir des rapports sexuels avec une femme de façon presque sauvage, animale, il s’exposait aussi à ce qu’ensuite à un système de vengeance qui allait créer des mécanismes sans fin… Le mariage, c’est aussi domestiquer les rapports sexuels entre les êtres humains, et les cantonner dans un cadre bien précis afin aussi de canaliser toute la violence qui peut aller autour du sexe sauvage.
« Après on a tout mis dans les bordels… »
« C’est un autre lieu de canalisation. »
« D’aborder tout cela dans une discussion qui parle de l’hymen, d’un truc intime, ça me fait voir à quel point le corps porte des choses qui nous dépasse. Sur une thématique qui peut être biologique ou très intime, on parle contrôle social, religion, histoire, bordels…c’est vertigineux ce mélange d’échelle ! »
« Dans La fabrication des mâles [de Georges Falconnet, Nadine Lefaucheur], ça m’a frappé parce qu’ils disent que les persécutions et tortures pour gérer la sexualité des gens n’existent plus parce que ça a été tellement terrible avant, que les gens se sont dits qu’ils n’allaient pas faire ça. « Je vais me conformer aux règles parce que je n’ai pas envie de souffrir ». On n’a plus besoin des tortures physiques pour se maîtriser. Ce glissement de pratique et d’acceptation, s’est fait dans la violence, en Europe aussi, alors qu’on la condamne dans d’autres pays. »
« On parle souvent de « contenir », de cette sexualité masculine tellement énorme qu’il faut des bordels, qu’il faut des trucs pour la contenir… ça doit être difficile d’avoir des pulsions comme ça ! Il y a cette espèce d’idée reçue et à l’inverse, les femmes peuvent s’en passer, « j’en n’ai pas besoin »… Il y a un écart énorme ! »
« Dans le livre sur la défloration , il y a la question de la nuit de noces, il y a un journal intime dans lequel les deux jeunes mariés la reportent tellement ils ont peur ! Parce que le mec, faut qu’il assure, et elle, elle a peur. Le poids sur eux est tellement fort mais dans des directions différentes ! »
« Je me mets à la place d’un homme, ça doit être hyper impressionnant pour un homme de rencontrer une femme qui n’a jamais eu de rapports sexuels. Il va lui faire mal, il va la faire saigner… »
« Dans les dictionnaires érotiques, il y a vraiment le côté « on va défoncer du mur, on va défoncer la cloison », ils le disent dans le texte. Soit t’as peur, soit t’es un peu plus ouvrier du bâtiment et t’es content ! »
Enquêter
« Est-ce que ton dictionnaire érotique, il n’est pas de l’ordre de la légende urbaine ? On est quand même loin des expériences ordinaires… Peut-être que l’expérience masculine n’est pas vraiment enquêtée, elle se dit peu, elle est difficile à saisir. C’est vrai qu’il y a des comportements spectaculaires, des régimes de comportements qu’on peut trouver encore, les bordels ça existe encore, pas en France mais pas loin. Je dirais que l’enquête est à faire. Dans les études de genre, il y a beaucoup de travaux sur la condition des femmes mais il n’y a pas l’équivalent sur les hommes et c’est un gros problème d’équilibre de la pensée, d’avancer avec si peu de chercheurs, si peu de gens qui écrivent ou qui témoignent. »
« Je voyais un autre chantier. Il y a longtemps, j’ai travaillé en collège-lycée et je ne suis pas sûr que ça s’est bonifié durant les dernières années, mais une classe de collège c’est vraiment pas un lieu bienveillant et accueillant pour parler de désir, de rencontre, de partage, en tout cas pas à partir d’un cours de biologie. Les cours de biologie, c’est très bien mais si ça devient 95% du message, je pense qu’il y a truc complètement raté parce qu’on rajoute de la médicalisation. Je ne sais pas trop dans l’idéologie scolaire française où on a la place de parler de relations, d’émotions… ».
Échanger
« A l’adolescence, c’est beaucoup famille-école / famille-école… Où sont les tiers endroits ? »
« Il y a eu un moment pendant les années 1960-70 où il y avait beaucoup de groupes de femmes qui étaient organisés pour de la transmission mais aussi pour des aspects très pratiques autour de l’avortement, notamment clandestins. L’un des effets de la légalisation, c’est que ces groupes ont disparu, que dans les familles, on ne communique pas trop, la révolution sexuelle des années 1970 c’est un mythe, enfin ça a touché peu de personnes… ».
« Pour moi l’autre lieu, c’est le planning familial. »
« Le planning familial, tu dois toujours y aller pour une raison, pas juste pour parler. Moi, c’est pour ça que je n’y suis pas allée aussi parce que j’avais pas de raisons pratiques pour y aller, alors que c’est juste un espace pour pouvoir parler, échanger, rencontrer qui est nécessaire. »
« L’égalité arrive aussi quand le changement de posture commence à arriver. Moi j’ai été éduquée par une mère à moitié féministe mais comme une proie. On ne m’a pas dit « T’es une proie » mais on ne m’a jamais expliqué qu’à partir de 12 ans, tu vas avoir des vieux dégueux qui vont t’emmerder, on va t’insulter dans la rue… Le fait que tu sois une proie, c’est normal, on te prépare pas, on te donne pas d’outils, et le fait d’arriver au moment où l’on passe de la chasse à la guerre, dans un environnement qui peut être hostile mais où tu es une actrice et tu n’es plus éduquée comme une proie. Plutôt comme quelqu’un qui est dans un environnement risqué mais tu n’as pas cette même posture, et il y a une sexualité moins violente derrière. »
« Moi j’ai eu une éducation comme ça, mes relations hors rapport sexuel, ça allait. Mais mes relations sexuelles n’étaient pas …éduquées. J’avais le côté social, mais je n’avais pas le côté sexuel ! »
Illustration : Anne Kawala
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