Hymen, virginité & masturbation. Comment on nous gâche la vulve !

Ce texte a été rédigé par Isabelle Lesquer, autrice et coordinatrice du projet Hymen redéfinitions. La photographie est de Rim Battal, 2013.

« S’armer de la connaissance du plaisir que son corps peut vivre c’est pouvoir exiger que la relation sexuelle sans plaisir cesse. Le corps est prêt. Il est prêt à jouir. Il est prêt à jouir avec d’autres. »
Anne Kawala, Virginités

Dans le cadre du projet Hymen redéfinitions, je suis amenée à lire des articles, des témoignages sur la thématique de l’hymen et de la virginité. Lors de ce travail, une hypothèse m’est venue à l’esprit, y aurait-il un lien entre l’impératif de la virginité, le mythe de l’hymen et la pratique peu fréquente de la masturbation féminine en France aujourd’hui?

L’impératif de la virginité est la valorisation de la figure de la vierge comme femme qui se « respecte » (expression dégueulasse à tant de niveaux…) et qui conserve sa virginité pour la bonne personne, l’élu. Et pour motiver les jeunes filles à rester sages et soumises, on a inventé une belle histoire : le mythe de l’hymen. Celui-ci consiste en cette croyance qu’il existe dans le corps féminin un signe physiologique de la virginité vaginale, l’hymen donc, qui se déchirerait au passage du pénis (pour comprendre pourquoi c’est faux, lire l’article Hymen, mythes et réalités de Martin Winckler). On fait donc croire aux femmes que leur corps conserve la trace de leur vie sexuelle comme la trace d’un crime afin qu’elles veillent elles-même à ne pas dévier du chemin « respectable », et bien sûr gare aux contrevenantes !

Aujourd’hui, nous sommes en France dans une société beaucoup plus libérée qu’auparavant, la masturbation n’est plus considérée comme un acte répréhensible, comment se fait-il alors que selon une étude de 2019 sur la vie sexuelle des françaises commandée par le magazine Elle, les femmes qui sont aujourd’hui 78 % à faire des fellations à leurs partenaires ne sont que 50% à se masturber régulièrement ? Pourquoi la masturbation féminine est-elle encore si peu pratiquée aujourd’hui ?

Nous verrons ici comment, en interdisant à la femme l’accès à son propre corps, l’impératif de la virginité et le mythe de l’hymen nous gâchent la vulve . Deux exemples nous permettront de voir pratiquement leur impact sur la vie masturbatoire féminine : d’abord sur la vie sexuelle personnelle avant le premier rapport sexuel hétérosexuel, puis sur la pratique de la masturbation pendant l’acte sexuel et plus particulièrement pendant la pénétration. Cette réflexion concerne uniquement les femmes hétérosexuelles mais comme les chiffres de l’étude Elle l’indiquent (92 % des femmes homosexuelles ou bi se masturbent régulièrement…), la question de la non pratique de la masturbation se pose beaucoup moins (et tant mieux pour elles) pour les femmes lesbiennes et bi.

Quelques constats

Premier constat : la masturbation féminine n’est pas une pratique généralisée encore aujourd’hui en France. Dans l’étude de 2019 sur la vie sexuelle des françaises de Elle (on appréciera la couverture de l’étude avec un couple hétérosexuel sous la couette mais bon, passons…), on remarque que si 79 % des femmes pratiquent la masturbation, seules 50% d’entre elles le font régulièrement. A titre de comparaison les hommes sont 95% à la pratiquer, et détail amusant les femmes se déclarant homosexuelles ou bisexuelles sont 100% à la pratiquer, et 92% régulièrement, comme quoi se libérer du patriarcat, ça détend.

Deuxième constat : il y a encore trop peu de socialisation de la masturbation féminine. Si je prends mon cas personnel (41 ans, femme, blanche, hétéro, cis, classe moyenne, je m’arrête là), je n’ai eu aucune socialisation avec la masturbation (c’est-à-dire discussion avec parent ou ami, visionnage de film ou de série, lecture de livre documentaire ou de fiction et je ne parle même pas d’Internet parce que ça n’existait tout simplement pas) avant l’âge adulte. La masturbation était une pratique personnelle dont on ne parlait pas et qui n’avait aucune visibilité. Je pourrais même dater la première apparition grand public de la masturbation féminine en France à la diffusion sur M6 en 2000 de l’épisode 9 de la saison 1 de Sex and the City avec le sex toy Rabbit (mais on peut remarquer le besoin encore d’un « intermédiaire » entre la femme et son propre corps, et si ce n’est pas l’homme, ce sera la machine). Pour parler chiffres, cette étude internationale de 2019 sur la masturbation commandée par l’entreprise Tenga, montre que les femmes françaises commencent à se masturber en moyenne à 17 ans (contre 14 ans pour les hommes) et qu’elles découvrent la pratique davantage seules que les hommes.

Troisième constat : la connaissance de leur organe sexuelle et plus particulièrement de leur organe érectile par les femmes est encore assez approximative. Pour pleurer un peu, on peut citer cette étude de 2009 réalisée par la sexologue Annie Sauvet dans un collège de Montpellier (cité en page 36 de ce Rapport sur l’éducation sexuelle remis en juin 2016 par le Haut Conseil à l’égalité français) qui montre que dans cet établissement scolaire une fille de 13 ans sur deux et une fille de 15 ans sur 4 ne sait pas qu’elle a un clitoris et que 83 % des filles et 68 % des garçons de 3èmeet de 4ème ne connaissent pas la fonction du clitoris. On peut rappeler aussi que la première représentation complète du clitoris dans un manuel de SVT date de 2017.

Même si on assiste à une libération de la parole et des représentations depuis quelques années (et quand je dis quelques, je pense moins de 5 ans) grâce à Internet et à ses forums, à la diffusion des idées féministes, et encore plus récemment grâce à une série comme Sex Education ( sur la thématique de la masturbation féminine je vous invite à visionner l’épisode 6 de la saison 1 où une jeune fille part à la découverte d’elle-même. La saison 2 (je ne sais plus quel épisode) nous montre, quant à elle une belle séance de masturbation synchronisée lesbienne), les chiffres de la pratique de la masturbation féminine montrent à quel point cette libération est loin d’être effective pour toutes.

Avant le premier rapport sexuel : la masturbation de l’angoisse

Il suffit de taper « forum hymen et virginité » (raccourci, ici, et ) dans votre navigateur préféré pour voir ce que la masturbation peut provoquer chez certaines jeunes filles : de l’angoisse.

Il y a tout de même quelque chose d’ assez enthousiasmant dans ces conversations sur les forums, on constate que ces jeunes filles se masturbent, qu’elle y prennent du plaisir et qu’elles en parlent (trouvant là un lieu de socialisation qui a longtemps fait défaut aux femmes sur ce type de sujet) mais ce qui est beaucoup moins enthousiasmant, c’est cette angoisse qui sourd en permanence : est-ce que si je me caresse de telle façon ou de telle façon, si je perds du sang, est-ce que je risque de perdre ma virginité et par là-même ma pureté et ma valeur ?

« Suis-je vierge ? »

Cette question qui revient sans arrêt dans ces forums montre à quel point la masturbation est une pratique à risque. Il suffit de se toucher un jour de la mauvaise façon même par inadvertance pour perdre sa pureté et quitter définitivement le clan des jeunes filles dignes. Le plus sage serait bien sûr de ne pas se masturber mais heureusement toutes les jeunes filles ne sont pas sages.

Bien sûr, on peut dire que ce sont des cas extrêmes, que l’obsession de la virginité n’est plus généralisée en France mais ce qui m’intéresse ici c’est que si ces jeunes filles sont angoissées c’est parce qu’elle savent une chose, se masturber est une transgression parce que leur sexe est réservé au pénis et que se donner du plaisir vient renverser l’ordre établi. Et je pense que si seules 50% des femmes se masturbent aujourd’hui c’est parce qu’elles ont intégré elles aussi que leur sexe ne leur appartient pas : c’est l’homme qui crée la femme en la pénétrant, et c’est l’homme qui la fera jouir. Pas besoin d’aller y mettre les doigts soi-même.

Pendant la pénétration : Pas touche Madame !

L’autre grande absente des représentations est la pratique de la masturbation féminine pendant l’acte sexuel et plus particulièrement pendant la pénétration.

Et si la question de la pénétration m’intéresse ici (pénétration qui, réalisée sans autre stimulation, fait jouir, je le rappelle, seulement 30 % des femmes selon le rapport Hite de 1976 cité par Martin Page dans Au-delà de la pénétration) c’est qu’il s’agit d’une pratique sexuelle où souvent l’homme a les mains prises (en appui sur un lit, un mur, une table, une machine à laver…) et où la stimulation clitoridienne ne peut se faire dans ces cas que par la femme elle-même (ou une troisième personne…).

Récapitulons : M a les mains occupées, Mme a les mains libres, qu’est-ce qui l’empêche de se faire du bien et de jouir de la façon la plus efficace ? Physiologiquement, rien, puisque le gland du clitoris se situe à l’entrée du vagin et peut donc sans problème être stimulé pendant la pénétration. Et pourtant…

On voit ici que la logique de la femme « respectable » persiste même après la défloration : son sexe ne lui appartient pas, il est un objet de plaisir pour l’autre, et quand le plaisir vient, il doit être procuré par l’autre (petit point chanson, les paroles de Fais-moi jouir de Patrick Coutin, l’homme qui aimait regarder les filles qui marchent sur la plage, sont assez éclairantes sur ce point).

Si l’on retourne dans le champs des représentations, les scènes de sexe hétérosexuelles mainstream (films et séries) ne montrent jamais (ou alors j’ai raté ça et je suis preneuse d’exemples) de masturbation féminine pendant la pénétration (on imagine une scène de film : un missionnaire classique, la main quittant ostensiblement les épaules du partenaire, pour descendre le long du corps, trouver le chemin du clitoris et ensuite se mettre énergiquement au travail …). Quant à la doxa sexuelle issue de la psychanalyse, elle somme les femmes de choisir entre deux camps : clitoridienne ou vaginale, la case « les deux en même temps » ne fait malheureusement pas partie des choix proposés.

Si on part à la recherche de chiffres, on remarque, comme dans l’étude commandée par Elle, qu’on ne pose pas tout simplement pas la question aux femmes : « Vous masturbez vous pendant l’acte sexuel ? ». Dans une autre étude internationale sur la sexualité menée par l’IFOP en 2015 sur un échantillon de 8000 femmes pour le site de webcam CAM4, qui indique (Oh Surprise !) que la sexualité des françaises est trop phallocentrée, on croit toucher à la révélation : la meilleure méthode pour accéder à l’orgasme serait la stimulation simultanée vaginale et clitoridienne (77% des femmes françaises parviennent facilement à l’orgasme de cette façon mais, oups, seules 34% déclarent la pratiquer souvent) mais on déchante vite quand on lit l’intitulé de la question posée aux sondées :

« Personnellement parvenez-vous à l’orgasme quand votre partenaire pénètre votre vagin avec son sexe tout en vous caressant le clitoris ? » encore une fois la possibilité que la femme puisse se caresser elle-même le clitoris n’est même pas évoquée. Allez, pour le plaisir on pose nous-même notre question idéale : « Personnellement parvenez-vous à l’orgasme quand votre partenaire pénètre votre vagin (on enlève « avec son sexe », le pénis on s’en fout) pendant que vous-même ou votre partenaire caressez votre clitoris ? »

Si la distinction entre pratiques sexuelles solitaires et sociales est déjà idiote en soi (il existe des tas de façons de pratiquer la masturbation en couple), cette distinction est encore plus délétère pour les femmes car s’il est plus difficile pour l’homme de se masturber pendant la pénétration (l’organe étant, disons, hors de portée), il l’est très facile (et très efficace) pour la femme. Pendant la pénétration, la femme peut et jouir de l’autre et se faire jouir elle-même, autant qu’elle en profite. Et, le plus beau, si on suit cette piste, c’est que s’écroule alors la dichotomie clichée de l’homme/piston actif d’un côté et de la femme/réceptacle passive de l’autre, chacun.e pouvant être alors acteur et actrice simultanément de son plaisir et de celui de l’autre. Et ça, c’est beau.

L’impératif de la virginité et le mythe de l’hymen ont fait du sexe féminin un territoire étranger à la femme elle-même. Ce sexe appartient à l’homme qui en jouira et le fera jouir. Si la parole se libère et les pratiques évoluent, la route vers la reconquête de notre sexe et de notre plaisir est encore longue pour nombre d’entre nous.

Et cette reconquête s’accompagne aujourd’hui d’une autre reconquête de notre organe sexuel, du côté médical et gynécologique cette fois-ci. Puisque si notre organe sexuel appartient aux hommes, notre organe reproductif appartient, lui, aux médecins (qui sont souvent des hommes d’ailleurs…) Reprendre le contrôle et la connaissance de notre sexe par la pratique de l’auto-examen gynécologique comme le soutient par exemple le collectif Les flux ou réclamer la possibilité d’un vrai partenariat d’égal à égal avec le corps médical pendant nos grossesses et nos accouchements (puisque, rappelons-le, c’est la femme qui accouche et non le médecin) comme le fait par exemple Marie-Hélène Lahaye sur son site internet Marie accouche là, tout cela relève du même objectif : la reconquête par les femmes d’un corps et d’un sexe à soi. Et si la route est encore longue, nous sommes de plus en plus nombreuses à marcher ensemble. Et ça, aussi, c’est beau.

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