Cette interview s’est déroulée en mars 2019 à Nantes, au bord du bassin Saint-Félix au son de l’hélicoptère de la police en position au-dessus d’une manifestation de gilets jaunes. Madeleine B. ( le nom a été modifié) suit le projet Hymen redéfinitions quasiment depuis son début, elle avait envie de partager son histoire avec nous parce que celle-ci montre, encore une fois, à quel point l’intimité est politique.
Son histoire parle de la première fois, des représentations qu’on s’en fait avant et de l’impact de cette première fois sur la suite de la vie sexuelle.
L’objectif premier était de faire un feuilleton sonore, mais l’hélicoptère de la police en a décidé autrement, cette interview-feuilleton prendra donc une forme écrite.
Pour lire les trois premiers épisodes, c’est ici.
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La première fois, et après ?
Hymen redéfinitions : Donc avant ça, tu ne ressentais pas une barrière ?
Madeleine B. : Ben non ! La première fois que j’ai eu envie de faire l’amour, c’était avec ce gars-là. J’étais beaucoup plus jeune, je n’avais pas eu les temps d’entendre plein de témoignages de premières fois. J’ai trouvé ça très violent de le faire si tard. En même temps, j’ai eu d’autres occasions de le faire plus tôt, pas tant que ça, mais j’en ai tout de même eues. A Avignon, j’ai vu qu’en le provoquant, c’était possible de le faire. J’ai décidé le soir-même que j’allais avoir ce gars. Même moi, ça m’a surprise ! Il ne pouvait pas y avoir de partage parce que j’étais dans une détermination de passer un cap, faire un passage, pourtant je n’avais eu aucune rencontre avec lui.
Au fond, le passage tu l’avais peut-être passé autrement dans ta vie ?
Oui, mais ça a eu l’effet inverse de ce que j’attendais. J’attendais que ça me rende plus disponible à la rencontre à l’autre, et moins seule. Et ça a même intensifié mon côté solitaire et ce « je ne peux faire confiance à personne ». J’ai et j’avais des ami.es très importants pour moi, plein de bienveillance. Mais au fond, il y avait ce « je ne peux faire confiance à personne ».
Tu dirais que la manière dont tu as perdu ton hymen – ou alors peut-être que tu n’en avais pas, c’est encore une autre question, on ne sait pas trop de quoi il est fait – est-ce que tu te dirais que cette relation que tu as vécue avec cet homme que tu ne connaissais pas vraiment, avec qui il n’y a pas eu de lendemain, qu’elle a été déterminante pour le reste de ta vie sexuelle ?
Oui, en fait comme cette fois-là a été très décevante et que je n’avais pas envie de faire l’amour avec lui, je me suis dit « je fais l’amour avec lui pour en finir avec ce truc de virginité » parce que je commençais à avoir honte, quand même… Il y a une autre femme à qui j’en ai parlé qui a eu sa première relation aux alentours de mon âge. J’ai aussi pu en parler avec des gars qui étaient encore vierges et qui approchaient de la trentaine, pour qui c’était horrible… Et je leur disais, « moi aussi ». Quand tes copines parlent de ça… et de voir que c’était à la fois très secret, suffisamment secret pour qu’on ne t’en parle pas trop, mais pour que tu te dises que c’est primordial dans une vie. J’avais honte, je me disais que je n’étais pas normale. J’avais déjà eu mes règles tard, je voyais toutes mes copines avoir leurs règles et moi non… Il y avait déjà cette question « mais où es ma féminité ? ». Je n’avais pas beaucoup de seins, j’ai eu des seins à 17 ans, avant j’étais boulotte, sans seins. C’était un peu raide… J’ai eu l’impression de devenir femme très tard.
Alors l’hymen, moi je n’ai pas constaté qu’il s’était ouvert, à ce moment-là. J’aurais préféré ressentir un déchirement et j’ai ressenti plutôt une fermeture. Après ça, j’ai eu l’impression que mon vagin a rarement été ouvert. Je me suis toujours dit « j’ai un vagin étroit ». En réalité, il y a eu des moments où il s’est ouvert. Mais c’est quand même assez rare. Je ne focalise pas sur ce moment de ma vie, mais je pense qu’il était plus ouvert avant, parce que je me suis touchée très jeune et que j’avais envie de prendre du plaisir. Et la rencontre avec cette jeune femme… On ne l’a fait qu’une fois, mais ça m’a vraiment réconcilié avec le fait qu’il n’y ait pas de honte à se donner du plaisir. Moi je le faisais beaucoup. Ce n’était pas que je manquais de désir, le fait que je n’ai pas de relations sexuelles. Parce qu’à un moment, je me suis dit « qu’est-ce qu’il se passe, les autres ont plus de désir que moi ? » Et en fait, je me suis rendue compte qu’il y avait plein de femmes qui ne se touchaient pas. Elles pouvaient avoir fait l’amour avec un homme, mais elles ne se touchaient jamais. Alors que moi, des fois, je pouvais passer deux heures, à 16 ans ou 17 ans [rires] et puis plus tard.
Ça a refermé quelque chose on dirait, effectivement.
Oui, ça n’a pas ouvert en tout cas. Ça a été une grosse déception. Et puis un truc est venu en moi les jours d’après. C’est fou parce que pourtant je ne suis pas religieuse, j’ai certes une recherche spirituelle, j’ai un intérêt pour cette dimension de la recherche de soi-même. Donc je me suis dit les jours d’après, « putain, c’était naze, ça ne m’a rien ouvert, ça ne m’a pas fait devenir ce que je pensais devenir », c’est-à-dire une femme plus assumée, accéder à une féminité, et en plus, je me suis enlevée une virginité alors que j’aurais pu devenir nonne. Pourtant ce n’est qu’un phantasme chez moi, c’est une espèce d’image qui m’a suivie et qui continue de me suivre. Aujourd’hui je ne veux plus être nonne, mais je suis quand même habitée par cette envie de retraite, de consacrer davantage ma vie à m’écarter des sollicitations, mêmes des sollicitations qui sont liées au désir et à la séduction, surtout la séduction d’ailleurs. Du coup, j’ai un peu eu une réaction de l’ordre de « Tout ça pour ça ! Et en plus je me suis grillée une certaine virginité. » C’est fou hein ? Donc c’est une sacrée histoire pour moi !
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