« Tout ça pour ça » #5

Cette interview s’est déroulée en mars 2019 à Nantes, au bord du bassin Saint-Félix au son de l’hélicoptère de la police en position au-dessus d’une manifestation de gilets jaunes. Madeleine B. ( le nom a été modifié) suit le projet Hymen redéfinitions quasiment depuis son début, elle avait envie de partager son histoire avec nous parce que celle-ci montre, encore une fois, à quel point l’intimité est politique.
Son histoire parle de la première fois, des représentations qu’on s’en fait avant et de l’impact de cette première fois sur la suite de la vie sexuelle.
L’objectif premier était de faire un feuilleton sonore, mais l’hélicoptère de la police en a décidé autrement, cette interview-feuilleton prendra donc une forme écrite.

Pour lire les quatre premiers épisodes, c’est ici.

⁂ ⁂ ⁂ ⁂

La sexualité, c’est politique

Oui, c’est une sacrée histoire.

Mais qui est très liée à de la volonté. Pour ouvrir davantage sur la dimension plus publique ou collective de cette histoire : moi j’en veux, enfin j’ai été très en colère contre les femmes et les hommes de mon entourage, les éducateurs etc. de m’avoir laissée, et de nous laisser, dans une sorte de flou, au milieu d’images et de morales très différentes, de plein d’histoires. On a des informations, mais en même temps il y a toujours ce truc du secret, où on peut dire « mais oui, mais c’est l’intimité » ou « c’est aux jeunes femmes, aux jeunes hommes de découvrir par eux-mêmes », sauf qu’en fait je ne suis pas d’accord avec ça. Parce qu’on est matraqué, depuis que j’ai 12 ans je suis matraquée d’histoires, de sous-entendus sur la sexualité, sur cette question d’hymen et de virginité, de morales différentes, mais jamais très clairement dites, donc qui ne me laissaient pas la mesure de m’en saisir et de me demander si j’étais d’accord avec ça. Il y a eu une sorte d’infusion qui m’a fait mettre beaucoup d’attente sur quelque chose qui aurait dû être une histoire aussi simple que celle de la rencontre avec mon corps et le corps de l’autre. Sauf qu’il y a plein d’images qui se sont mêlées à ça, aussi bien religieuses que morales, que des comparaisons. C’est mon histoire personnelle, mais longtemps après, je me suis dit que quand même, les choses ne sont pas dites clairement et pourtant on a beaucoup d’éléments qui sont donnés. Et finalement pas tellement d’éléments concrets. A quelles jeunes femmes et jeunes hommes on dit vraiment ce que c’est que l’hymen? Où est-ce qu’il est placé, à quoi il sert et quel est son lien avec l’idée de virginité , C’est pourquoi je trouve que c’est important d’en parler, de pouvoir témoigner. Moi je serais vraiment en demande qu’on en parle plus concrètement. Sans invoquer le prétexte qu’il s’agit de l’intimité, donc que chacun le vit comme il veut. D’accord, mais c’est aussi un truc très collectif. La sexualité, ce n’est pas seulement la question intime, parce qu’il y a plein de représentations collectives de la sexualité et on est matraqué de ça des images, des injonctions, et il faut s’orienter, se définir parmi toutes ces représentations imposées.

Et dès lors que ça a un lien à l’autre, ça devient également politique. C’est aussi un endroit de pouvoir potentiel, c’est un endroit qui est de fait normé. Dès lors que ça fait relation, on touche au politique. Ça fait partie de certaines revendications d’aujourd’hui de dire que ce qui se passe dans l’intimité c’est aussi politique. Et puis bien souvent, ce qui est tu, parce qu’il y a malaise à en parler, ou gêne – peut-être aussi parce que nos mères n’ont pas eu de très bonnes expériences – est mis sur le compte de la tradition ou de la culture, ce qui peut être lié à des dogmes religieux qui ont infusé sans qu’ils ne soient plus très conscients. Mais en réalité, ça arrange bien les gens de ne pas en parler, sauf que c’est pourri de tout ce que le social fabrique et je pense que ce serait loin d’être le seul domaine. En tout cas, je pense que la sexualité se situe au carrefour de tout ça.

Et puis je pense que ça dure au-delà de ça, parce qu’en réalité je ne me suis pas défaite de toutes ces représentations-là. Il y en a certaines que j’ai pu quitter, lâcher en me disant « cela ne m’appartient pas et ça me fait du mal. » Au lycée, ça m’avait refroidi qu’on ne puisse pas parler de sexualité en termes politiques. Moi ça m’avait vraiment interpellée, je me disais qu’on était vraiment isolés, je sentais déjà que ce n’était pas très juste. Mais en même temps je convenais que c’était l’expérience des gens. C’est ce pour quoi j’ai eu du mal à y aller, parce que j’avais l’impression que c’était une grosse entourloupe, [rires] et encore aujourd’hui ! Je recevais un ensemble de représentations de ce que devait être la sexualité, des injonctions du comment bien faire (des postures, jusqu’à l’attitude idéale à adopter, en passant par la nécessité de se protéger des MST comme de la maternité possible) mais aucun espace de paroles, d’échanges pour m’orienter, me définir et faire de ces expériences sexuelles une expérience mienne.

Je pense qu’à partir du moment où ce sont des domaines qui ne sont pas parlés, qui ne sont pas dicibles – donc indicibles – s’exerce un pouvoir extrêmement fort de l’ordre du tabou. Soit on en a peur, soit on a envie d’aller creuser si on est curieux, parce qu’on se demande ce que c’est que cette chose, en tout cas, c’est louche. Alors que c’est une expérience, et toute expérience se met en mots. Si ce n’est parce qu’on a peur d’attaquer quelqu’un ou d’avouer – je pense qu’il y a beaucoup de femmes qui auraient eu à avouer le manque de plaisir dans des relations hyper normées, lié à des postures sexuelles ou à la posture de l’homme vis-à-vis de la femme. Donc le tabou, l’indicible fige. Et puis c’est un poids fou pour …

… les adultes en construction. Et puis ce truc que la sexualité ce serait forcément un passage à l’âge adulte où on se délaisse de l’enfance. Moi j’en ai chialé de ça, d’avoir peur de faire l’amour parce que j’allais perdre mon enfance, alors que je pressentais bien que dans l’âge adulte, il y avait quand même plein de trucs qui ne m’enthousiasmaient pas. Et là je l’ai bien senti, parce que quand j’ai commencé à vraiment bossé, c’est là que ça a été mal pour moi. Pour moi, le passage à l’âge adulte ça n’a pas été la sexualité, ça a été de bosser en réalité. Et de rentrer dans une vie dans laquelle j’avais des responsabilités non pas vis-à-vis de moi au monde, mais des responsabilités déléguées à quelqu’un qui décide pour toi. Bon, c’est un aparté.

La sexualité enfantine on n’en parle pas, on est très mal à l’aise avec ça. Je me rappelle d’avoir lu Quand j’avais cinq ans je m’ai tué (Howard Buten, 1981) qui m’avait bouleversée. Je m’étais demandé comment on pouvait tuer un enfant ou plutôt le mettre à l’écart, parce qu’il avait fait l’amour avec une petite fille. Alors que selon moi c’est l’adulte qui met de la moral encore là-dessus. A chaque fois ça me fait me dire que toutes les violences sexuelles dans toutes leurs formes, parce qu’il y en a un panel immense, viennent beaucoup de ce non-dit, parce que ça demande aussi à se regarder et c’est vrai que c’est inconfortable. Moi-même, on ne peut pas dire que ma vie sexuelle soit tout le temps enthousiasmante, qu’elle l’ait toujours été. C’est pour ça que je disais au début, que quand je commençais à me dire que je n’allais jamais pouvoir faire l’amour, j’avais même peur du vieillissement du corps, que mon corps soit trop vieux pour éprouver la première fois. J’étais vraiment flippée. C’est plutôt après l’avoir fait que j’ai commencé à questionner autour de moi, en étant moi-même dans le clan de celles qui l’avaient fait, que j’ai commencé à avoir des témoignages de femmes me disant que ça avait été nul, qu’en fait elles ne prenaient pas de plaisir en faisant l’amour etc. J’ai à ce moment-là réalisé que si je l’avais su avant, j’aurais pu demander plus de choses…

Cette sacralisation aurait pu être mise à mal par des paroles

En tout cas, de confronter… C’est une construction qui n’est jamais finie, et surtout qui est traversée par plein d’éléments qui sont extérieurs, c’est pour ça aussi que ce n’est pas seulement intime. Pour moi, la sexualité c’est quand même relié à tes propres états mais aussi à plein de conditions extérieures.

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